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Béranger, Pierre-Jean de
Le grenier
Je viens revoir l'asile où ma jeunesse
De la misère a subi les leçons.
J'avais vingt-ans, une folle maîtresse,
De francs amis et l'amour des chansons.
Bravant le monde et les sots et les sages,
Sans avenir, riche de mon printemps,
Leste et joyeux je montais six étages.
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans !
C'est un grenier, point ne veux qu'on l'ignore.
Là fut mon lit bien chétif et bien dur ;
Là fut ma table ; et je retrouve encore
Trois pieds d'un vers charbonnés sur le mur.
Apparaissez, plaisirs de mon bel âge,
Que d'un coup d'aile a fustigés le Temps.
Vingt fois pour vous j'ai mis ma montre en gage.
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans !
Lisette ici doit surtout apparaître,
Vive, jolie, avec un frais chapeau
Déjà sa main à l'étroite fenêtre
Suspend son schall en guise de rideau.
Sa robe aussi va parer ma couchette ;
Respecte, Amour, ses plis longs et flottants.
J'ai su depuis qui payait sa toilette.
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans !
À table un jour, jour de grande richesse,
De mes amis les voix brillaient en choeur,
Quand jusqu'ici monte un cri d'allégresse.
À Marengo Bonaparte est vainqueur !
Le canon gronde ; un autre chant commence ;
Nous célébrons tant de faits éclatants.
Les rois jamais n'envahiront la France.
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans !
Quittons ce toit où ma raison s'enivre.
Oh ! qu'ils sont loin ces jours si regrettés !
J'échangerais ce qu'il me reste à vivre
Contre un des mois qu'ici Dieu m'a comptés.
Pour rêver gloire, amour, plaisir, folie,
Pour dépenser sa vie en peu d'instants,
D'un long espoir pour la voir embellie,
Dans un grenier qu'on est bien à vingt ans !
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Le roi d'Yvetot
(Mai 1813)
Il était un roi d'Yvetot
Peu connu dans l'histoire ;
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton,
Dit-on.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
Il faisait ses quatre repas
Dans son palais de chaume,
Et sur un âne, pas à pas,
Parcourait son royaume.
Joyeux, simple et croyant le bien,
Pour toute garde il n'avait rien
Qu'un chien.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
Il n'avait de goût onéreux
Qu'une soif un peu vive ;
Mais en rendant son peuple heureux,
Il faut bien qu'un roi vive.
Lui-même, à table et sans suppôt,
Sur chaque muid levait un pot
D'impôt.
Oh ! oh !oh !oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
Aux filles de bonnes maisons
Comme il avait su plaire,
Ses sujets avaient cent raisons
De le nommer leur père
D'ailleurs il ne levait de ban
Que pour tirer quatre fois l'an
Au blanc.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
Il n'agrandit point ses états,
Fut un voisin commode,
Et, modèle des potentats,
Prit le plaisir pour code.
Ce n'est que lorsqu'il expira
Que le peuple qui l'enterra
Pleura.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
On conserve encor le portrait
De ce digne et bon prince ;
C'est l'enseigne d'un cabaret
Fameux dans la province.
Les jours de fête, bien souvent,
La foule s'écrie en buvant
Devant :
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c'était là !
La, la.
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Les souvenirs du peuple
On parlera de sa gloire
Sous le chaume bien longtemps.
L'humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d'autre histoire.
Là viendront les villageois
Dire alors à quelque vieille
Par des récits d'autrefois,
Mère, abrégez notre veille.
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère.
Parlez-nous de lui, grand-mère ;
Parlez-nous de lui. (bis)
Mes enfants, dans ce village,
Suivi de rois, il passa.
Voilà bien longtemps de ça ;
Je venais d'entrer en ménage.
À pied grimpant le coteau
Où pour voir je m'étais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.
Près de lui je me troublai,
Il me dit :
Bonjour, ma chère,
Bonjour, ma chère.
- Il vous a parlé, grand-mère !
Il vous a parlé !
L'an d'après, moi, pauvre femme,
À Paris étant un jour,
Je le vis avec sa cour
Il se rendait à Notre-Dame.
Tous les coeurs étaient contents ;
On admirait son cortège.
Chacun disait : Quel beau temps !
Le ciel toujours le protège.
Son sourire était bien doux ;
D'un fils Dieu le rendait père,
Le rendait père.
- Quel beau jour pour vous, grand-mère !
Quel beau jour pour vous !
Mais, quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux étrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper à la porte ;
J'ouvre, bon Dieu ! c'était lui
Suivi d'une faible escorte.
Il s'asseoit où me voilà,
S'écriant : Oh ! quelle guerre !
Oh ! quelle guerre !
- Il s'est assis là, grand-mère !
Il s'est assis là !
J'ai faim, dit-il ; et bien vite
Je sers piquette et pain bis
Puis il sèche ses habits,
Même à dormir le feu l'invite.
Au réveil, voyant mes pleurs,
Il me dit : Bonne espérance !
Je cours de tous ses malheurs
Sous Paris venger la France.
Il part ; et comme un trésor
J'ai depuis gardé son verre,
Gardé son verre.
- Vous l'avez encor, grand-mère !
Vous l'avez encor !
Le voici. Mais à sa perte
Le héros fut entraîné.
Lui, qu'un pape a couronné,
Est mort dans une île déserte.
Longtemps aucun ne l'a cru ;
On disait : Il va paraître.
Par mer il est accouru ;
L'étranger va voir son maître.
Quand d'erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amère !
Fut bien amère !
- Dieu vous bénira, grand-mère ;
Dieu vous bénira. (bis)
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Mon habit
Sois-moi fidèle, ô pauvre habit que j'aime !
Ensemble nous devenons vieux.
Depuis dix ans, je te brosse moi-même,
Et Socrate n'eut pas fait mieux.
Quand le sort à ta mince étoffe
Livrerait de nouveaux combats,
Imite-moi, résiste en philosophe :
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Je me souviens, car j'ai bonne mémoire,
Du premier jour où je te mis.
C'était ma fête, et pour comble de gloire,
Tu fus chanté par mes amis ;
Ton indigence, qui m'honore,
Ne m'a point banni de leurs bras.
Tous ils sont prêts à nous fêter encore :
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
A ton revers, j'admire une reprise :
C'est encore un doux souvenir.
Feignant un soir de fuir la tendre Lise,
Je sens sa main me retenir.
On te déchire, et cet outrage
Auprès d'elle enchaîne mes pas.
Lisette a mis deux jours à tant d'ouvrage :
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Y'ai-je imprégné des flots de musc et d'ambre
Qu'un fat exhale en se mirant !
M'a-t-on jamais vu dans une antichambre
T'exposer au mépris d'un grand ?
Pour des rubans, la France entière
Fut en proie à de longs débats.
La fleur des champs brille à ta boutonnière :
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
Ne crains plus tant ces jours de courses vaines
Où notre destin fut pareil :
Ces jours mêlés de plaisirs et de peines,
Mêlés de pluie et de soleil.
Je dois bientôt, il me le semble,
Mettre pour jamais habit bas.
Attends un peu ; nous finirons ensemble :
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.
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