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Apollinaire, Guillaume
Le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Guillaume Apollinaire
("Alcools")
Ispahan
Pour tes roses
J'aurais fait
Un voyage plus long encore
Ton soleil n'est pas celui
Qui luit
Partout ailleurs
Et tes musiques qui s'accordent avec l'aube
Sont désormais pour moi
La mesure de l'art
D'après leur souvenir
Je jugerai
Mes vers les arts
Plastiques et toi-même
Visage adoré
Ispahan aux musiques du matin
Réveille l'odeur des roses de ses jardins
J'ai parfumé mon âme
A la rose
Pour ma vie entière
Ispahan grise et aux faïences bleues
Comme si l'on t'avait
Faite avec
Des morceaux de ciel et de terre
En laissant au milieu
Un grand trou de lumière
Cette
Place carrée Meïdan
Schah trop
Grande pour le trop petit nombre
De petits ânes trottinant
Et qui savent si joliment
Braire en regardant
La barbe rougie au henné
Du Soleil qui ressemble
A ces jeunes marchands barbus
Abrités sous leur ombrelle blanche
Je suis ici le frère des peupliers
Reconnaissez beaux peupliers aux fils d'Europe
O mes frères tremblants qui priez en Asie
Un passant arqué comme une corne d'antilope
Phonographe
Patarafes
La petite échoppe
L'enfer
Un homme a traversé le désert sans rien boire
Et parvient une nuit sur les bords de la mer
Il a plus soif encore à voir le flot amer
Cet homme est mon désir, la mer est ta victoire.
Tout habillé de bleu quand il a l'âme noire
Au pied d'une potence un beau masque prend l'air
Comme si de l'amour - ce pendu jaune et vert -
Je voulais que brûlat l'horrible main de gloire.
Le pendu, le beau masque et cet homme altéré
Descendent dans l'enfer que je creuse moi-même
Et l'enfer c'est toujours : "je voudrais qu'elle m'aime"
Et n'aurais-je jamais une chose à mon gré
Sinon l'amour, du moins une mort aussi belle.
Dis-moi, le savais-tu, que mon âme est mortelle ?
Elégie du voyageur aux pieds blessés
Marche le gars ! Marche en gaîté !
Ce calme jour d'un calme été,
Où sauf la source, tout se tait.
Va parmi les grandes fougères,
Les myrtilles et les bruyères
Où tant d'abeilles butinèrent.
La source est là comme un oeil clos,
Pleurant avec de frais sanglots
la naissance triste de l'eau.
L'eau pure deviendra l'eau sale,
La source enfante et pleure ou râle,
Déplorée par les saules pâles.
Roule de vulgaires pensées,
Vieilles et saines et sensées,
Le gars ! Ô l'homme aux pieds blessés !
Au bois tu n'as point vu de faunes;
Des nymphes tu n'eus pas l'aumône
D'un iris bleu, d'un iris jaune.
Tu foules les dieux sous tes pas
Au vert bâton que tu coupas
Un dieu meurt - tu ne le sais pas ! -
Ah ! marche l'homme sans déesses
Ni tutélaires ni traîtresses,
Marche et tue les dieux quand ils naissent.
Tue les dieux nés de nos clairs yeux
Et dans nos âmes; le sang pieux
De tes pieds console les dieux.
Les faunes roux et les satyres
En te voyant feignent de rire
Et troublent l'eau quand tu t'y mires.
Tu marches en saluant les croix,
Du bord des routes qui poudroient.
Tout rouges de ton sang et froids,
Les dieux narquois partout se meurent
Et s'émeuvent les enchanteurs,
Les fleurs se fânent les fées pleurent.
Ville et coeur
La ville sérieuse avec ses girouettes
Sur le chaos figé du toit de ses maisons
Ressemble au coeur figé, mais divers, du poète
Avec les tournoiements stridents des déraisons.
O ville comme un coeur tu es déraisonnable.
Contre ma paume j'ai senti les battements
De la ville et du coeur : de la ville imprenable
Et de mon coeur surpris de vie, énormément.
Epousailles
L'amour a épousé l'absence, un soir d'été ;
Si bien que mon amour pour votre adolescence
Accompagne à pas lents sa femme, votre absence,
Qui, très douce, le mène et, tranquille, se tait.
Et l'amour qui s'en vint aux bords océaniques,
Où le ciel serait grec si toutes étaient nues,
Y pleure d'être dieu encore et inconnu,
Ce dieu jaloux comme le sont les dieux uniques.
Crépuscule
Frôlée par les ombres des morts
Sur l'herbe où le jour s'exténue
L'arlequine s'est mise nue
Et dans l'étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D'astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l'arlequin blême
Salue d'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismégiste
Les colchiques
Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violatres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne
Les enfants de l'école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne
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